Un autre iftar est possible
“Sermayenin lüks otel iftarları: KAPİTALİZM
Egemenlerin iftar çadırları: SÖMÜRÜ
Halkın yeryüzü sofraları: ÖZGÜRLÜKTÜR”
« Les iftars dans les hôtels de luxe du capital : C’est le CAPITALISME
Les tentes dressées pour les iftars des dominants : C’est l’EXPLOITATION
Les tables du peuple, C’est la LIBERTE. »
L’appel avait été lancé depuis plusieurs jours sur internet par les Musulmans Anticapitalistes (Antikapitalist Müsülmanlar) et les Musulmans Révolutionnaires (Devrimci Müslümanlar). Il est rapidement relayé sur les réseaux sociaux par de nombreux sympathisants du mouvement de Gezi.
Le rendez-vous était donné mardi 9 juillet à 20h pour le premier « iftar du peuple » du ramadan 2013 en Turquie, devant le lycée Galatasaray, au milieu de l’avenue Istiklal. Tout un chacun peut venir et partager le repas, voilà le principe fondateur de l’« iftar du peuple ». Ces repas collectifs ont été introduits en 2011 par un autre organisation, Emek ve Adalet (Pain et Justice), devant un hôtel de luxe pour dénoncer l’approche capitaliste du ramadan. Aujourd’hui, ce type de rassemblement permet de continuer la lutte contre le gouvernement et contre l’accaparement des espaces publics.
Les participants affluent, les nouveaux venus s’installent à la suite des autres, déjà assis par terre, ils déposent des feuilles de journal ou plus rarement une nappe à même les pavés puis s’assoient dessus. D’abord longue de quelques dizaines de mètres, la tablée semble s’étendre exponentiellement. L’objectif est de rejoindre le parc de Gezi à côté duquel est organisé en grande pompe l’iftar de la mairie de Beyoglu. Mais, au début de l’avenue, à 600 mètres du lycée de Galatasaray, la belle chaîne fait face à un imposant dispositif sécuritaire. Epaulés par des rangées de policiers, un TOMA (véhicule blindé de la police équipé d’un canon à eau) bouche l’accès à la place de Taksim. Pendant toute la soirée, les participants se demanderont s’il attaquera ou non. Entre deux bouchées, les slogans du mouvement de Gezi tournent en boucle : le classique « Her Yer Taksim, Her Yer Direniş » (« Partout Taksim, Partout la résistance »), le taquin « Sık bakalım » (« Vas-y envoie les gaz ») destiné aux policiers, ou l’intraduisible « Hüloooooğğğ ».
20h47, le repas peut commencer. Ils sont peut-être maintenant plusieurs milliers assis par terre. Ils étaient là durant les manifestations et se retrouvent maintenant pour cet iftar. Musulmans, chrétiens, non-croyants, Turcs, Kurdes, socialistes, kémalistes, libéraux, … jeunes et vieux, les participants reflètent la diversité du mouvement de Gezi.. A la suite du succès de cette soirée d’autres iftars populaires ont été organisés dans différents quartiers d’Istanbul, d’autres villes de Turquie et même à New York. Le dernier « iftar du peuple » sur l’avenue Istiklal a été attaqué par la police. Pour en savoir plus, vous pouvez suivre le hashtag #yeryüzüiftarı.
Mashallah News a discuté avec quelques stambouliotes présents, bien remontés contre le gouvernement:
Hadiye Yolcu, 30 ans, activiste des Musulmans Révolutionnaires
Comment est née l’idée de cet iftar ?
Durant le mois du ramadan, les municipalités dressent des grandes tentes pour l’iftar. Mais c’est évident que chacune le fait pour sa propre publicité. Pour nous, tout le monde doit participer sur un pied d’égalité. Les gens qui ont de la nourriture ou non peuvent venir à la même table, il n’y a aucune différence. On veut que les gens soient solidaires les uns des autres. Nous avons partagé la lutte de Gezi, maintenant partageons la nourriture !
Aujourd’hui, que voulez-vous dire au gouvernement ?
Avant tout, il faut « remercier » Recep Tayyip Erdogan pour nous avoir tous rassemblé dans cette lutte. En dépit de ses discours discriminants, provocateurs et diviseurs, les gens se sont regroupés.
Est-ce qu’il y a des gens qui vous critiquent dans votre entourage ?
Oui, dans mon entourage proche certaines personnes sont contre notre opposition au gouvernement. Certains réagissent en me demandant pourquoi je suis dans l’opposition étant donné que je suis voilée. Etre voilée ou non, musulmane ou non, cela n’a pas d’importance. Aujourd’hui, le pouvoir se conduit vraiment de manière inéquitable, oppressive et réduit au silence ceux qui veulent protéger leurs droits. Il n’y a plus de liberté d’expression.
Comment voyez-vous l’avenir du mouvement de Gezi ?
Dans les parcs, les forums continuent. Les jeunes sont là, cela nous donne beaucoup d’espoir. Ils s’organisent, ils pensent à leur avenir. Personne ne sait ce qu’il va se passer mais au moins les jeunes se sont posés des questions importantes.
Mine Tekman, 35 ans, ingénieure informatique
Why did you come to this iftar?
It’s a beautiful idea. It’s set up for the people and everyone can come and participate, so it has more meaning than the iftars organised by luxury hotels or the city council.
What dishes did you bring this evening?
I was only able to bring some zucchini.
What is the meaning of Ramadan for you?
Love, brotherhood, unity, solidarity, tolerance. All of these values.
What is the significance of Gezi for Turkey?
It’s a movement that took the entire world by surprise and in my opinion, it’s significant for everyone. A month and a half ago I was very pessimistic, but now I’m optimistic for the entire earth, not just for Turkey.
Şinasi Onur, 44 ans, courtier maritime
Quels plats avez-vous apporté ce soir ?
J’ai simplement fait des sandwichs pour faire la rupture du jeûne avec mes amis. Mais ils ont amené des olives, du fromage et d’autres plats. L’objectif principal c’est d’être ensemble.
Vous avez participé aux manifestations ?
Oui, plus particulièrement à Beşiktaş, aux côtés du groupe de supporters du Çarşı et je suis venu à Gezi aussi. Dans mon sac il y a deux masques à gaz. On a reçu beaucoup de gaz pendant les manifestations, on s’est habitués.
Vous n’avez pas peur ?
Non, la peur est morte, on l’a enterrée au cimetière.
Pourquoi le mouvement de Gezi est-il important ?
C’est un mouvement pacifique. Ici, personne ne soutient la violence, sauf la police. Nous voulons seulement la démocratie.
Qu’est-ce que vous voulez dire au gouvernement aujourd’hui ?
Qu’il renonce à la violence, c’est tout.
–
Burak , 19 ans, étudiant
Quels plats vous avez apporté ce soir ?
On n’a pas apporté grand chose, du fromage, du pide (le pain du ramadan), des tomates, de l’ayran.
Quel est le sens du ramadan ?
Pour notre communauté c’est synonyme de partage et de tolérance.
Vous avez participé aux manifestations ?
Oui.
Quel est le sens de ce mouvement en Turquie ?
Comme l’a dit le premier ministre, ça a peut-être commencé avec trois arbres, mais les causes profondes sont les interdictions et les politiques oppressives. Ce mouvement concerne tout ce que le gouvernement a fait depuis dix-douze ans. La vie de chacun a été touchée, la société était prête à exploser. Tout le monde est sorti dans la rue.
Que voulez-vous dire au gouvernement aujourd’hui ?
(Rires) N’ayez pas trop confiance en vous-mêmes. Le peuple est plus fort que vous.
Gülhan Özceylan, 34 ans, chargée de clientèle
Quels plats avez-vous apporté ?
Du köfte, de la salade, de la soupe, des desserts
Pourquoi venez-vous à l’iftar des Musulmans Anticapitalistes ?
Ils nous ont soutenu, ils étaient à nos côtés dans le mouvement de Gezi, nous avons voulu être avec eux aujourd’hui.
Quel est le sens de ce mouvement en Turquie ?
C’est une lutte pour les libertés individuelles, pour pouvoir s’exprimer librement.
Que voulez-vous dire au gouvernement aujourd’hui ?
Il faut qu’ils assurent les mêmes droits pour ceux qui ne pensent pas comme eux. Je veux seulement qu’ils prennent conscience que les gens ont besoin d’être libres, je ne veux pas de démission ou autre chose.
Yılmaz, 58 ans, imprimeur
Pourquoi vous êtes venu ce soir ?
Je suis venu pour donner un coup de main. Il y a deux types d’iftars: l’iftar des riches et l’iftar des pauvres. Le vrai sens du ramadan c’est l’iftar des pauvres.
Vous êtes présent depuis le début des manifestations ?
Oui
Pourquoi ?
Nous voulons dire à l’AKP que nous vivons aussi ici. Ce n’est pas seulement votre pays, il y a une grande diversité de musulmans en Turquie et il y a aussi des personnes qui ne sont pas musulmanes. Je ne suis pas musulman, je suis athée. Il faut vivre ensemble : les juifs, les musulmans, les alévis, les sunnites, tous ensemble.
Quels changements vous attendez du gouvernement ?
Il faut changer le gouvernement. Ils ont commencé à couper les arbres pour les riches, pas pour les pauvres. Il y a déjà eu cinq morts et plus d’une dizaine de personnes qui ont perdu un œil.
Fatma Kurcan Doğan, 30 ans, professeure d’école, militante des Musulmans Anticapitalistes
Vous avez participé aux manifestations de Gezi ?
Oui, chaque jour. Pendant 20 jours, nous avons monté une tente. Nous restions dormir la nuit avec des amis.
Comment cela s’est passé avec les autres manifestants ?
Très bien, nous nous sommes faits de nombreux amis.
Il y a peut-être des préjugés contre vous ?
Il n’y a pas de préjugés au niveau individuel. Le pouvoir a des préjugés et il insiste là-dessus pour marginaliser les gens et les polariser. On a discuté avec les kémalistes, on a des amis gauchistes ou Kurdes. D’ailleurs, dans la structure des Musulmans Anticapitalistes il y a des déistes, des Arméniens, des alévis, des Kurdes. Nous vivons déjà cette diversité depuis deux ans.
Qu’est-ce que vous voudriez dire au gouvernement aujourd’hui ?
C’est très long. (Rires) Depuis un mois nous vivons des atrocités, nous avons respiré quantité de gaz lacrymogènes, nous avons été insultés. Ils font vivre aux autres groupes l’oppression qu’ils ont vécue pendant de nombreuses années. Je ne peux pas comprendre cela.
Words by Clément Girardot, photos by Gregory Dziedzic.