Ammar, graffeur engagé
Insaisissable
Nous l’avons suivi en tournage à Louxor et ce fut l’enfer. Par deux fois, Ammar nous a plantés. Comme il faut, à cinq heures du matin, à l’aéroport, alors que nous avions réservé son billet pour qu’il fasse le voyage depuis Le Caire, avec nous. Le lendemain rebelote, à six heures cette fois. Comble du lapin, il avait lui-même proposé de se lever à une heure aurorale pour une visite à la fraîche des villages offrant les plus belles peintures murales des environs de Louxor. Nous y sommes allés sans lui, la rancune au ventre, les dents serrées et les yeux collés de sommeil.
Irrésistible
On ne peut pas lui en vouloir longtemps. Ammar a l’énergie du créateur, la fulgurance de l’artiste et l’insouciance de l’adolescent. Il n’a pas attendu la révolution pour se révolter. Professeur d’arts plastiques à l’université de Louxor, il s’est battu en 2010 avec d’autres contre la volonté du gouverneur de l’époque, Samir Farag, un suppôt de Moubarak, de délocaliser la faculté dans une ville nouvelle, paumée dans le désert et déconnectée des lieux d’art et de culture, qui peuplent le sol et le sous-sol de Louxor. « Notre projet était de s’emparer des murs de la fac, de faire des fresques, des mosaïques. Comme ça, on repoussait le moment du déménagement. Les bâtiments devenaient le support des examens. Comment alors nous faire bouger ? », raconte-t-il, les yeux grand ouverts derrière ses lunettes noires à grosses montures.
Révolutionnaire
Le 25 janvier 2011, premier jour du soulèvement populaire contre le régime de Moubarak, Ammar a été saisi par les « visages » qui habitaient la place Tahrir. « Des jeunes, des vieux, des pauvres, des riches, des voilées, des coptes : c’était toute l’Egypte qui était là ! » Après un passage éclair pour voir de quoi il retournait, Ammar est revenu à Louxor pour faire ce qu’il savait faire : dessiner et montrer aux habitants de Haute-Egypte, trop éloignés du souffle de Tahrir pour en être touchés, ce qu’était la révolution. « J’écrivais des messages sur les murs. « Soyez patient, il va partir ! Mobilisez-vous, c’est le moment ou jamais. » A plusieurs reprises, la police effaçait mon travail. J’ai alors compris à quel point il était important de continuer. »
Héritier
Avant la révolution, Ammar ne se définissait pas comme graffeur. Il a choisi le béton comme support et la rue comme lieu d’exposition, moins pour laisser éclater sa colère que pour rétablir un lien disparu entre les Egyptiens et leur propre culture. « Je suis fasciné par l’art naïf, les peintures qui ornent les murs des maisons dans le sud du pays, représentant des scènes de la vie quotidienne, le pèlerinage à La Mecque, les notables du village… Aujourd’hui, après des dizaines d’années de dictature et d’influences venues de l’extérieur, d’Arabie Saoudite notamment, ces dessins n’existent plus. On construit des mosquées clinquantes sur de vieux édifices, alors qu’ils recèlent de trésors et font partie de notre patrimoine. Les gens sont comme acculturés. » C’est pourquoi Ammar bombe inlassablement Mohamed Mahmoud, rue adjacente à la place Tahrir, dont les murs sont devenus depuis quelques mois la galerie d’expression de jeunes artistes égyptiens révoltés. Dans cette rue, plusieurs dizaines de martyrs sont tombés sous les balles de la police pendant l’insurrection de novembre dernier. « Ce qui est important, c’est d’occuper le terrain, montrer aux gens ce qui se passe, ne pas oublier ceux qui ont fait la révolution et qui en ont payé le prix fort. Ne pas se laisser manger le cerveau par les médias d’Etat qui disent n’importe quoi ! » Dans cette rue Mohamed Mahmoud, Ammar a peint les portraits des jeunes supporters de foot tués lors du massacre au stade de Port-Saïd, le 1er février 2012. Les visages souriants ou graves, peints dans des couleurs vives, sont plus grands que nature, et des ailes ont poussé dans leur dos. « Ce sont les ailes des saints coptes qu’on voit dans les églises », explique Ammar. Une manière, là aussi, de rappeler aux Egyptiens que leur héritage artistique est divers, et autant copte que pharaonique ou islamique.
Ammar est un des personnages centraux de Génération Tahrir, un webdocumentaire assorti de son volet documentaire, consacré à la jeunesse égyptienne après la révolution, à celle qui a fait Tahrir, à celle qui l’a suivi et à celle qui l’a subi. Inchallah, le tout verra le jour en septembre prochain.
En attendant, vous pouvez en lire davantage sur notre blog et si le projet vous emballe, vous pouvez même y participer en devenant l’un de ses généreux contributeurs via le site de financement communautaire Kiss Kiss Bank Bank.
Photos prises par Pauline Beugnies.